(Roman-Par Charlie Groz)

Les réactons sont le moteur de toute vie. Découverts par White Dehming un soir de 1990 après que son fils de 8 ans lui ait suggéré l’idée, ces réactons sont le chainon manquant pour résoudre la “théorie M” unissant l’ensemble des théories scientifiques. Par un mécanisme de captation diurne et de relargage nocturne, ils expliquent l’interaction entre l’être humain et son environnement par le mécanisme de l’adaptation au stress qui use les âmes, les corps et tout ce qu’il y a autour. Mais les réactons sont aussi le joker que peut jouer tout être vivant, même parvenu au dernier stade de l’asservissement. Ils sont le doux goût de la liberté qui peut revenir d’un coup dans les bouches les plus amères. Ils sont comme le tison qui, même caché dans la plus profonde des grottes, peut faire resurgir la lumière. C’est pour cela qu’ils sont la cible de toutes les recherches des Mékanos qui ne supportent pas qu’une spontanéité incontrôlable puisse revenir chez l’être humain devenu enfin Conforme depuis que la Démocratie Scientifique a été mise en place. Il ne faudrait pas mettre en péril la Grande Harmonisation qui est presque achevée pour un monde enfin organisé et pacifié.

Le monde des Mékanos est le monde parfait organisé par Estelle et son Gouvernement des 7, de l’Union du Nord. Il y a énormément de bonnes raisons de vivre dans un monde Conforme et de maintenir son Egorithme constamment à jour. Cela apporte de la sécurité et empêche la peur de se retrouver seul.e. En fait, il y a assez peu de raisons de vouloir déserter car les risques sont grands de se mettre en danger et de trouver une bonne dose d’angoisses. Ce monde, né de la Grande Harmonisation, a donné naissance à cet être humain hors-sol, bichonné et constamment pris en charge. Le plus dangereux des Mékanos est celui que nous laissons grandir en nous et qui, avec le temps, prend toute la place disponible. Il nous ordonne alors une vie à suivre, même si cela n’est pas la nôtre. Car nous sommes les meilleurs forgerons de nos chaines.

Passeuses et passeurs de mémoire. Une mémoire trop vivante pour se laisser enfermer dans un musée ou dans le récit unique des vainqueurs. Une mémoire remplie de savoirs et de pratiques utiles qui circulent et  échappent aux monopoles et à toutes les confiscations. Les Mémorians entretiennent les fondations de l’édifice qui abrite tous les savoirs de l’Humanité. La Grande Harmonisation n’aurait pas été possible sans un Grand Discours: les Amnésians, ennemis jurés des Mémorians,  travaillent sans relâche pour le Gouvernement des 7, tronquant une mémoire collective pour fabriquer de l’oubli et nous faire aimer notre dépendance. Quand les Amnésians parlent de “révolution industrielle” ou de “révolution verte” , les Mémorians parlent de “mort de l’artisanat” ou de  “génocide paysan”. Il n’y a pas de vrai présent sans vraie mémoire.

Celles et ceux qui naviguent entre les deux mondes: celui des Conformistes et celui des Atolls. Leurs profils sont très variés. Plus ou moins à l’aise dans leur situation, on peut rester Diplomate toute une vie ou le percevoir comme une période transitoire. La Diplomatie peut être vue comme le temps que se donnent les Diplomates pour basculer, faire un choix. Le travail du Diplomate est de tisser des ponts et de réparer les malentendus. Mais c’est aussi de souffler doucement sur le feu des réactons d’ une personne devenue instable, pour l’aider à déserter sans jamais faire le chemin à sa place. Les Diplomates officient autour d’un Bureau des Entrées qui ouvre ou ferme la porte de l’Atoll le plus proche.  La/le Diplomate est une personne qui connait le silence et la patience d’où naissent les actions opportunes. Quand on pense que le hasard a bien fait bien les choses, c’est en général qu’un.e Diplomate a bien fait son travail.

Les Atolls sont des lieux où la liberté est plus importante que l’oxygène. Les Atolls naissent de la rencontre spontanée, durable ou éphémère de personnes qui n’acceptent comme contrainte que celles définies collectivement sans avoir besoin de lois ou de normes. On parle “d’inversion de la pyramide” pour imager cette organisation qui part de la base. La créativité des habitant.e.s des Atolls est impressionnante, élaborant un art de vivre à la fois convivial et technologique.  Si dans l’imaginaire les Atolls peuvent être des lieux très organisés et aboutis, dans la réalité ils naissent par tâtonnements et vivent au gré des relations humaines échappant  aux algorithmes et faisant germer toutes les résistances. Les Atolls, ces espaces de liberté qui naissent même au sein des prisons les plus dures, sont la preuve que même parvenu au dernier stade de l’asservissement, l’être humain ne perd jamais le goût de la liberté.

Les Curares vont être formées par Alma pour soigner le Monde. Une façon de se battre qui ne doit pas faire de mal, que l’on perde ou que l’on gagne. Car semer la souffrance, c’est perdre à tout les coups. Elles sont maitresses dans l’art du Kaün, que l’on apprend dans les Atolls aux enfants avant même qu’ils ne sachent marcher, inspiré d’un art martial de l’Ancien Monde que l’on appelait Systema. Elles développent les savoirs dont les Mémorians assurent la garde. Elles soignent les conformistes qui ont choisi la désertion.  Elles devront faire le voyage jusqu’en Antarctique pour espérer que s’accomplisse la Prophétie des “cœurs purs qui devront faire un grand voyage pour attiser la première flamme”. Dans la réalité, les femmes sont déjà en première ligne des soins de ce Monde lorsque les hommes prennent les armes et les industries. Et si le dénouement de l’Acte II des Mékanos voyait l’avènement d’une société matriarcale ? Pas sûr que le Gouvernement de l’Union du Nord l’entende de cette oreille…