Cherchez la fleur, vous ne verrez plus les ruines.

Il était une fois un pays où la ronce régnait sans partage.
Mais il n’en avait pas toujours été ainsi dans ces montagnes
Dont le schiste murmure à l’oreille du vent
Le souvenir d’un temps hostile aux dominants.
A cette époque, la ronce n’était qu’une parmi d’autres
Dans cette région devenue refuge pour celles et ceux
Dont la croyance ne faisait pas allégeance
Et qui répondaient à chaque persécution par plus de constructions.
Des hameaux entiers y étaient nés de ces mains habiles
Qui savent improviser les meilleurs mariages
Avec quelques bouts de rochers que tout semblait séparer.
Mais cette créativité sans normes ni architectes
Dans les Cévennes comme ailleurs, fut terrassée
Lorsque Guerre et Industrie, ces deux sirènes masculines
Qui chantent le naufrage de l’humanité,
Finirent par chasser des campagnes ce qui restait de liberté.

La ronce, travailleuse et entêtée,
Prit le relais des habitants devenus salariés.
C’est sur une de ces terrasses où dansait autrefois le seigle
Qui attirait la volaille qui nourrissait le renard
Qu’une chose étrange se produisit.
La ronce y avait pris aisance
Habituée à ne plus rencontrer de résistance.
Abandonnée des hommes, elle n’était que vengeance
Engloutissant murets, murs et toitures,
Tous ces souvenirs de présence humaine
Dont elle effaçait tout espoir de retour.
Elle avait affûté ses racines tout l’hiver
Et dès les premiers jours de printemps
Se gonflait de cet orgueil évident
De celle qui vit sans concurrence.
Mais au beau milieu de ses piquants
Apparut une fleur, seule et ravissante.
C’était un Vendredi 13, le jour où les esprits sont de sortie.
Un courant d’air déposa ici une âme vagabonde qui cherchait du repos.

Toutes les âmes finissent par fleurir un jour.
Celle là choisit un champ de ronces, car elle aimait les défis jusqu’après la mort.
Elle avait vécu avec le sourire en toutes circonstances
Demeurant sourde et aveugle à ce que les gens font de pire,
Dans une recherche incessante de ce qu’ils ont de meilleur.
Elle avait été comme la paysanne qui sélectionne année après année
Les meilleures graines de la nature humaine.
Elle était la cueilleuse de ces moments d’éternité
Où par un regard ou une attention une âme prend soin d’une autre.
Elle ne manquait jamais de mots, sauf pour dire du mal.
-Que fais tu sur mon territoire ? hurle la ronce furieuse à cette intruse fleurie
S’apprêtant à écraser la rebelle qui tente une réponse.
-Je ne suis qu’une âme qui a choisi de fleurir ici.
Je n’ai ni tes racines, ni tes ambitions, je serais partie en fin de saison.
La ronce, rancunière et besogneuse, ne décolère pas.
Elle sait que son royaume s’est bâti sans compassion.
-Je prépare le retour de la forêt car les arbres, contrairement aux hommes, ne m’ont jamais trahie.
-Quel courage tu as, la ronce ! Tu dois être fatiguée de ne jamais trouver de reste,
Et de l’hiver à l’automne travailler sans cesse.
La ronce fit une pause. Cette âme n’était décidément pas commune.
L’Amour qu’elle portait en elle rayonnait à en faire chavirer les Evangiles.
Cette âme savait les mots qui soignent et parler aux cœurs qui saignent.
Elle ajouta d’une voix timide qui ne laisse échapper que les mots nécessaires
-Et toi, la ronce, quelle est ta fleur ?

A cette question, la ronce perdit sa vigueur et
Sa méchanceté enfantée par le malheur.
Elle réalisa qu’à trop vouloir se venger de l’abandon des Hommes
Elle en avait perdu le gout de la floraison.
C’est une simple âme armée de ses convictions
Qui stoppa la ronce dans sa progression.
Sa rancœur fut bientôt recouverte de sépales, pétales et étamines
Où abeilles et bourdons vinrent aussitôt faire festin.
Ces vrombissements de pollens et de nectars chatouillaient la ronce
Jusqu’à ce qu’elle en éclate de rire.
Et bientôt c’est toute la vie qui revint dans ce pays où la ronce abdiqua son trône
Pour faire place à toutes les nouvelles âmes qui voulaient fleurir ici.
Des maisons de bric et de broc surgirent ici et là
Orifices fumants en hiver et enfants courant en toutes saisons
Comme preuve que l’on a toujours raison
De garder vivant cet espoir
Qui au beau milieu de la plus méchante situation
Sait trouver cette unique fleur
Et faire hommage à son obstination.